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La Marque

Le Destin du Magister
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Prologue
La Mort rôde


Assis en tailleur à même le sol, le vieil homme avait les yeux clos. Sa poitrine s’élevait et s’abaissait au rythme paisible de sa respiration. Son visage couvert de rides trahissait son grand âge, tout comme ses épaules voûtées, dont la crête osseuse saillait à travers son vêtement. Sa peau diaphane laissait entrevoir le réseau bleuté de ses veines. Son corps malingre achevait de peindre un tableau inoffensif.
Dans l’embrasure de la porte, la jeune femme n’osait pas bouger. Son cœur battait la chamade, menaçant à tout moment de s’échapper de sa prison d’os et de chair. Comment ce tambourinement n’avait-il pas encore trahi sa présence ? Elle le sentait si fort contre ses tempes qu’elle ne pouvait imaginer être passée inaperçue. Son souffle erratique clamait son appréhension ; sa main devenue moite perdait sa prise sur le gobelet auquel elle s’accrochait. Une inspiration profonde calma quelque peu le rythme effréné des battements sourds dans sa poitrine. Sa poigne se raffermit et, rassemblant son courage, elle foula le parquet qui craqua sous ses pieds.
Les paupières du vieillard se soulevèrent immédiatement, son dos se redressa et ses yeux limpides se posèrent sur elle. Un frisson parcourut la jeune femme. Elle inclina la tête, se soustrayant dans le même temps au regard qu’elle ne pouvait soutenir, pas ce jour-là. Elle n’en avait pas la force.
— Je vous apporte votre remède, Magister, déclara-t-elle d’une voix douce.
Malgré ce qu’elle s’apprêtait à effectuer, elle admirait cet homme, son calme, sa sérénité. Peut-être même avait-elle de l’affection pour lui. Mais, au-delà d’une quelconque affection, cet homme la fascinait autant qu’il l’effrayait. Il était le Magister. Chez la plupart des gens, son titre suffisait à imposer le respect.
— Merci, mon petit, répondit-il avec un sourire qui illumina ses yeux clairs.
S’approchant à pas lents tandis que le Magister peinait à se relever, la jeune femme tenta de ne rien laisser paraître de ses pensées. À nouveau, l’homme trouva son regard et la sonda ; la puissance dansait au fond de ses yeux, elle en était presque palpable autour de son corps chétif. Impossible de s’y méprendre : il était à la tête des Sept Provinces et son pouvoir dépassait de loin celui de la jeune femme. Elle lui tendit le gobelet avec un sourire qu’elle espérait naturel.
— Puisqu’il le faut, soupira le Magister en avalant la potion avec une grimace de dégoût.
Elle retenait son souffle même s’il faudrait au breuvage un certain temps pour agir. Elle avait besoin que le Magister soit privé de ses pouvoirs.
— Puis-je méditer avec vous quelques instants ? demanda-t-elle, autant pour calmer les battements frénétiques de son cœur que pour surveiller l’état de sa victime.
Face au Magister, elle s’assit. La respiration du vieillard s’apaisa rapidement et, par mimétisme conscient ou inconscient, celle de la femme lui fit écho. Peu à peu, la tension de ses muscles relâcha sa prise tenace. À présent qu’elle se détendait, elle ressentait la chaleur d’un rayon de soleil sur sa peau, caressant ses paupières closes. L’odeur de bois du parquet emplissait ses narines tout comme le parfum discret de l’huile dont elle enduisait ses cheveux pour les rendre soyeux. À ses oreilles chantait le souffle régulier du Magister, de cet homme qui s’était toujours montré affectueux envers elle.
Soudain, ce souffle si apaisant devint sifflant. La jeune femme rouvrit les paupières et croisa le regard voilé du vieillard. Son cœur tressauta dans sa poitrine ; le moment était venu. Elle écarta avec douceur une mèche de cheveux blancs du front du vieil homme. Il était à présent à sa merci, vulnérable ; privé de ses pouvoirs.
— Qu’as-tu fait ? marmonna-t-il, luttant contre l’engourdissement qui s’emparait de son visage.
— Le nécessaire, répondit-elle avec fermeté, comme si elle essayait de se convaincre du bien-fondé de son geste.
Écartant les pans de sa tunique, elle sortit une dague dont la lame effilée accrocha la lumière.
— Il est temps d’agir, murmura-t-elle.
Entre ses mains, le poignard tremblait. À ses oreilles, son sang bourdonnait si fort qu’il annihilait tout autre son. Était-elle réellement prête à le tuer ? L’hésitation s’empara de son corps et elle faillit hurler son indécision. Un miroitement dans l’air la tira cependant de sa confusion. Même s’il lui en coûtait, la mort du Magister était inévitable. Aussi plongea-t-elle son arme dans le cœur frémissant du vieil homme. Un râle de douleur et d’incompréhension fit écho à son geste tandis que les yeux clairs du vieillard s’obscurcissaient. Un centyre s’écoula. Puis, sur la peau presque translucide des poignets du défunt, s’effacèrent les marques qui le désignaient jusqu’alors comme le meneur des Sept Provinces. Désormais, il n’était plus le Magister.
Les Dieux nommeraient un nouveau porteur, un Aspirant. La création de la Marque du Magister générait une énergie particulière que la meurtrière devait localiser avant de partir à sa rencontre.

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