Sexisme et Littérature

Pourquoi avoir choisi de traiter ce sujet ?
De plus en plus souvent, sur mon téléphone, sur mon feed sur mes différents rsx scx, sont apparus des publicités pour des applications narratives et interactives. Pour n'en nommer que certaines : Chapitre / choices etc. par exemple. A côté de celles-ci, sont aussi apparus d'autres publicités, sponsorisées par des maisons d'édition, de romans. Alors que les premières apparaissent, je veux bien car j'en ai déjà téléchargé sur mon téléphone, mais alors les secondes je ne vois pas très bien comment... mon travail d'éditrice influence peut-être les algorithmes, mais si vous voyez mon feed insta on est clairement plus sur du foodstagram que du bookstagram.
Néanmoins, les choses sont telles que depuis des mois maintenant je me trouve submergée de ce genre de publicités et je ne suis pas la seule dans ce cas. Du coup, poussée par la curiosité j'ai téléchargé des applications, lu des passages et qu'elle ne fut pas ma surprise en découvrant le contenu de ces dites publicités. Certains d'entre vous ont peut-être pu voir quelques uns de nos coups de gueule en story insta à ce sujet. Sexisme, misogynie, viol, violence, insulte, cupabilisation le tout envers des personnages féminins. Et plus de dévaloriser l'image de la femme, ces représentations entachent aussi l'image de l'homme en tant que "bourreau".
Alors, avec Elodie, on s'est donc demandées pourquoi ? Pourquoi après le mouvement #metoo ce genre de textes s'écrivaient encore ? Pourquoi ils étaient plébiscités ? Qui les écrivaient ? Et toutes ces questions nous ont poussé, immanquablement à celle du sexisme dans la littérature de manière plus générale, car il n'y a pas que les applications qui véhiculent ce genre de comportements et d'idées, puisque les romans le font aussi.
Ce live n'a pas pour objet de devenir une série, du coup nous ne pourrons pas traiter tous les thèmes du sexisme dans le prisme global de la littérature. Nous essayerons d'en aborder le maximum, évidemment, mais nous allons nous efforcer de répondre à une question : Pourquoi ce genre de comportements sexistes est-il encore aujourd'hui représenté dans les textes que nous pouvons lire ? Nous disons "textes" et pas littérature, afin d'englober tout ce qui se lit : application / manuel scolaire / roman publié / autoédité / wattpad et autres plateformes d'écriture etc.
Et pour répondre à cette question on va commencer par revenir aux classiques ;)
Stendhal propose dans le Rouge et le Noir une digression au sujet du roman et de ce qu'il représente :
"Eh, monsieur, un roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt il reflète à vos yeux l’azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route. Et l’homme qui porte le miroir dans sa hotte sera par vous accusé d’être immoral ! Son miroir montre la fange, et vous accusez le miroir ! Accusez bien plutôt le grand chemin où est le bourbier, et plus encore l’inspecteur des routes qui laisse l’eau croupir et le bourbier se former."
La métaphore du miroir suggère que le roman correspond, non pas à une copier déformée de la réalité, mais bien à une copie conforme. Pourtant l'on pourrait dire que le roman (ou toute autre forme de récit) reste de la fiction et n'est donc pas la réalité. Certes, mais il n'en reste pas moins qu'il est preuve qu'il existe une porosité importante et indéniable entre la réalité et la fiction. Une porosité qu'il est même difficile de d'éviter, et ce même dans les romans de genre qui tentent de se détacher de cette réalité en créant leur propre monde. On s'aperçoit à chaque fois qu'il ne s'agit en réalité que d'un détour par la fiction, par l'imaginaire pour mieux revenir et traiter une certaine représentation de la réalité.
Ainsi partiellement ou non, comme l'affirme J.J. ANSO dans son roman de plus 900 pages intitulé "SEXISME & LITTERATURE : Etude de l'usage des stéréotypes sexistes : 50 nuances de Grey, le Choeur des femmes et American Housewife", le roman, la poésie, le théâtre ou tout autre support artistique, comme le cinéma, internet, les jeux vidéo ou encore le cosplay seront toujours des miroirs de nos sociétés : parce que tout créateur est au moins en partie influencé par le monde qui l'entoure : la nature/la civilisation/la culture/l'éducation/la religion/les échanges qu'il a/ la politique etc. Ainsi, représenter la société et ses moeurs à travers la littérature, qu'on le choisisse ou non, est inévitable et constitue une grande partie de l'histoire littéraire.
Mais reprenons le texte de Stendhal, car il parle d'autre chose d'important. Il évoque la critique que l'on adresse aux romans pour leur caractère jugé immoral. Pourtant, il fait remarquer que rien ne sert de critiquer le roman ou même son romancier, mais qu'il est préférable et plus juste de critiquer la réalité en tant que telle. Mais n'y a-t-il que la réalité à prendre à part ? Personne d'autre n'est-il responsable ? A nos yeux, bien sûr que si :
l'auteur tout d'abord. Tout d'abord parce qu'il propage des idées immorales ou injustes (dans notre cas des comportements sexistes ou dégradants que cela soit pour la femme ou pour l'homme) mais il pourrait dire - certes mais c'est inconscient, je suis conditionné par la société dans laquelle je vis et qui m'influence sans que je ne m'en rende compte. Très bien. Mais nous pourrions dire qu'il est possible pour une personne éduquée, lettrée, de se libérer des biais de son éducation, de porter un regard critique sur ses écrits et d'évoluer, d'apprendre. Or, c'est un argument qui, aujourd'hui, a de moins en moins de valeur. Attention, je ne dis pas que ceux qui écrivent aujourd'hui sont débiles ! Je dis simplement qu'avec la multiplicité des sources d'écrits en tout genre, il est de plus en plus évidents que ceux qui écrivent ne sont pas tous dotés d'un sens critique suffisant. Et c'est bien dommage car aujourd'hui, il est de plus en plus nécessaire !
Prenons l'exemple de Wattpad, sur cette plateforme ou n'importe qui peut à peu près écrire n'importe quoi, voilà ce que l'on peut y trouver :
Romances entre cousin, frère, soeur, parents...
Syndrome de stockolme - captivité puis amour pour le ravisseur
Cliché de millionnaires, dangereux, malsain, et jeune femmes fragiles et dévouées à le sauver
Loups-garous violents - toujours avec une jeune fille amoureuse qui reste pour le changer malgré les coups
Beaucoup de thèmes différents pourraient être cités, mais à retenir de nombreux clichés véhiculant des images sexistes et dégradantes souvent des femmes, de leur rôle, de leur caractère, de leur agissements, sont écrits, mis en avant et partagés. Mais le pire c'est que c'est aussi dégradant pour les hommes ! Au moins aux yeux de gens qui ont un minimum de sens critique !
Le même chose peut-être dite pour les applications et la je laisse la main à Elodie :)
Les applis d'histoires interactives
Ces applications généralement très simples visuellement s'inspirent de deux types de jeux :
Les visual novel : originaire du Japon dans les années 90, il s'agit de jeux narratifs montrant des personnages non animés dans un décor, également statique. Seul le texte, montrant les paroles du personnage, défilent dans un cadre. L'intérêt pour le joueur est qu'il peut intervenir dans l'histoire en ayant la possibilité de choisir différents types de réponse.
Les jeux de drague ou dating sim : tous les visual novel ne sont pas de jeux de drague. Mais les jeux de drague sont souvent représentés sous la forme de visual novel, car c'est simple à faire, étant donné qu'il n'y a pas d'animation et que le jeu est majoritairement textuel.
= Exemple connu qui vient de France est Amour sucré, qui est un jeu de drague présenté comme un visual novel.
Il y a souvent cette opposition entre les 2 types de jeux, les visual novel essayant de cibler un public féminin, alors que dans les premiers jeux de drague, le joueur incarnait plutôt un homme, entouré de femmes qu'il devait réussir à séduire.
Dans les applications qu'on rencontre aujourd'hui, on voit que la tendance s'inverse, car il semble qu'on nous propose des jeux de drague où nous incarnons une femme.
Si l'idée peut être bonne au départ, puisqu'il n'y a pas de raison que ce type de jeux ne s'adresse qu'aux hommes, nous voyons que les rôles ne sont pas tout à fait inversés comme on pourrait le croire.
Même lorsque la femme drague dans ces jeux, elle est souvent en position d'infériorité par rapport à sa cible masculine. C'est ce qu'on voit rien qu'en lisant les titres des histoires, sur Chapters on peut par exemple essayer de séduire un millionnaire, ou encore son professeur. L'histoire où nous devons draguer notre prof est d'ailleurs adapté d'un livre qui s'appelle Need Me écrit par Tessa Bailey, si vous voulez voir la fiche sur Goodreads. Le personnage du livre est présenté comme fauché, belle, et fascinée par son prof d'anglais, ce que reprend grosso modo l'histoire de Chapters.
On peut voir un certain nombre d'histoires dont les titres sont, en français, Le Papa milliardaire, Le patron, Mon voisin le milliardaire, Poursuis-moi, Sauver le PDG, Le bâtard milliardaire...
Bref, comme je vous l'ai dit, les rôles ne sont pas inversés. Si dans les jeux de drague pour homme, le joueur est souvent en position de supériorité, il est maître de la discussion, de ses choix, c'est lui qui décide de draguer, dans les jeux de drague dit "pour femme", le personnage féminin n'a que l'illusion de l'action. Si c'est bien elle que nous incarnons, nous sommes pourtant toujours soumises au personnage qui est censé nous plaire. Nous ne sommes jamais la milliardaire, jamais la PDG. Et comme on l'a vu dans un titre juste avant, ce n'est pas nous qui poursuivons, c'est nous qui sommes poursuivies.
Au-delà des thèmes problématiques que peuvent développer ces histoires, la simple position dans laquelle se trouve la femme est dérangeante.
Mais en plus viennent s'ajouter des histoires dont les messages véhicules sont extrêmement contestables. Je ne sais plus sur quelle application c'était, Camille l'avait mis en story, mais il y avait une histoire dans laquelle une fille passait un entretien d'embauche, avec un homme forcément, et ce dernier lui faisait comprendre qu'elle allait devoir passer sous le bureau.
Je dis forcément un homme car autant vous dire que ces applications mettent à 90 % en avant des relations hétérosexuelles. J'ai vérifié, et la catégorie LGBTQ+ de Chapters ne comptent que 4 histoires.
On voit donc bien que ces applications enfoncent le clou des clichés hétéro où la femme est l'objet fragile et sans trop d'intérêt, puisqu'elle est faible et n'a pas de position sociale, jusqu'à ce que l'amour, ou plutôt le prince charmant, vient jusqu'à elle et la transforme en objet de désir.
Sans parler de la banalisation du harcèlement au travail en rendant la chose soit-disant attirante (le patron use de sa supériorité pour clairement faire comprendre à une jeune femme en entretien que dans son entreprise on se donne corps et âme à la boîte et surtout le corps et là les deux choix de réponses sont : "olala je comprends pas" ou "j'aime faire don de mon corps"!!!!!)
Les loup-garous aussi : Mâle alpha violent, insultant - jeune fille fragile, éperdument amoureuse de cet être malsain et toxique. Pire encore (celui-là m'a tué !) - une jeune fille dites comme "grosse" (My Fat Werewolf) se révèle être le match du mal alpha devant lequel toutes les filles bavent (parce qu'on ne pense toute qu'à se trouver un mâle alpha - my bad) se fait rejeter, plus précisément violemment pousser dans les escaliers par ce dernier qui en a rien faire, et elle se dit quoi ? C'est ma faute, c'est parce que je suis moche et je mérite tout ce qui m'arrive. Du coup, elle part chez sa grand mère au bout de 2 mois elle revient et elle canonissime... passons... et son seul but et de se venger de l'alpha qui bave maintenant devant elle sauf que l'on sait très bien comment l'histoire se finit : elle qui abandonne sa vengeance car il ne savait pas ce qu'il faisait et il a découvert qu'il l'aimait pour elle !
Un responsable ?
Mais qui se cache derrière ces textes ?
Pour les textes des applications et des pubs de romans que je reçois - aucune idée, si ce n'est que comme pour Wattpad ce sont souvent des femmes et sur cette plateforme, plus encore de jeunes filles. Et c'est là que l'incompréhension gagne du terrain : comment en tant que femme, ou jeune fille peut-on écrire et véhiculer de telles idées ? Première explication, l'esprit critique dont nous avons parlé plus haut, donnant ainsi libre cours à toutes les influences sexistes et répandues qui nous entourent et jetons-y un oeil !
Les préjugés : Le 5 Mars 2020, le Programmes des Nations Unies montre dans une étude que 9 personnes sur 10 dans le monde nourrissent un moins un préjugé sexiste. ET ce tout sexe confondu - 75 pays représentant plus de 80% de la population mondiale. Les hommes font de meilleurs dirigeants politique ou d'entreprises que les femmes. Les hommes devraient être prioritaire sur le marché de l'emploi quand l'offre est rare. L'université est plus importante pour les hommes que pour les femmes. Et on pourrait se dire qu'en France nous faisons parties des meilleurs élèves, mais à peine. Une personne sur deux (56%) nourrit un préjugé sur les femmes.
Le programme évoque "la subsistance de barrière invisibles" et précise qu'"Aujourd'hui, la lutte pour l'égalité des sexes passe par l'élimination des préjugés".
Clairement ce n'est pas gagné quand on voit tout ce dont nous venons de parler.
Continuons avec la télé-réalité et plus précisément le monde des médias en générale. Selon le Haut Conseil à l'Egalité, la politique, les médias et l'entreprise sont touchés par des comportements sexistes. Si on se focalise sur les médias, qu'avons nous : absence de diversité, stéréotypes, hypersexualisation de la femme "qui sont considérées comme susceptibles de plaire aux adversaires et de créer des rivalités" (donc des fouteuses de merde), ultramasculinité des hommes "forts, musclés, qui ont la gagne !" - En gros c'est l'illustration même des principes darwiniens : le plus fort qui gagne et qui remporte la femelle pour se reproduire ! (Les marseillais / Les anges / Koh-Lanta) !
Les réseaux sociaux, si ce genre d'histoires existent, c'est parce qu'elles sont le reflet de ce qui existe, ou de ce qu'on pense être normal. Ça a été largement alimenté par des romans, notamment young adult. Vu l'âge des lecteurs, ce genre de livres est censé transmettre certains messages, car ils sont lus à une période où le lecteur ou la lectrice forme ce qu'il ou elle sera plus tard en tant qu'adulte, et ce que seront ses relations qu'elles soient intimes, amicales, ou professionnelles.
Je pense que beaucoup d'entre vous ont lu ce type de romans à une époque et peuvent se remettre en question sur ces lectures. C'est ce que font pas mal de personnes sur Twitter, en analysant pourquoi telle ou telle scène d'un livre qu'elles ont lu dans leur adolescence est finalement problématique.
C'est ce qu'on peut lire dans le thread très récent de ZinaElric (Alchimiste d'État, j'espère que vous avez la référence) puisqu'il date du 20 avril. Twilight était rediffusé à la télé, et elle a décidé d'écrire tout ce qui lui posait problème dans cette saga qu'elle connaît bien. Donc vous pouvez aller lire le thread, il est vraiment intéressant et pas très long. Je vais quand même vous citer quelques passages : "Bella est constamment dans le rôle de la demoiselle en détresse, secourue par des hommes ; Jacob, Edward, le chef de la meute des LG ou encore Carlisle. Les relations Bella/Jacob et Bella/Edward montre que la femme est faible et a absolument besoin d'homme pour la protéger." + "Bella est agressée sexuellement par Jacob qui l’embrasse de force. Elle tente de le frapper mais se casse la main, ce qui rappelle l’impuissance et la vulnérabilité des femmes. De plus, l’agression de Jacob est justifiée par son amour pour Bella." + "L’instinct de chasseurs et la difficulté de contrôler ses pulsions de vampires est un truc d'homme et uniquemement envers des femmes, qui sont les proies." Voilà, je ne vais pas tout vous spoiler, mais elle y parle également de la romantisation de la dépression de Bella, des problématiques concernant l'avortement, ou encore de la violence des hommes qui est montrée comme quelque chose de naturel. Pour faire ce thread, elle a notamment cité une source qui est un article du site lecinemaestpolitique.fr qui s'appelle "Saga Twilight : violence conjugale et glorification du patriarcat".
On peut lire un autre article d'une ancienne lectrice de Twilight et date du 4 mars 2020. Son blog s'appelle apireading.blogspot.com et le titre de l'article est "Relecture de Twilight, bilan et analyse". Encore une fois, ce sont les mêmes thématiques qui sont pointées du doigt, notamment le contrôle d'Edward sur Bella : "Edward exerce un contrôle - quoique très subtile - sur la vie de Bella : il lui dit constamment de ne pas se mettre en danger, de ne plus conduire sa vieille voiture mais d’accepter l’achat qu’il lui fait d’une nouvelle, etc. Cela étant, cela reste assez léger et très subtile. Mais cela a engendré des dérives monumentales dans l’idéologie amoureuse des fanfictions et des fanfictions qui ont percé comme Fifty Shades of Grey." + "Jacob coche absolument toutes les cases du manipulateur qui soustrait un baiser non désirée à Bella contre un chantage où il menace de se laisser tuer si elle refuse de l’embrasser."
Ces articles a posteriori servent bien à démonter un type de romans que nous sommes beaucoup à lire durant notre adolescence et qui sont censés nous construire comme êtres humains. Mais lorsqu'on est une fille de 13 ans, il est presque impossible d'avoir le recul nécessaire pour capter pourquoi ces livres posent problème, tant on nous martèle que le sexisme est normal. C'est d'ailleurs tellement intégré qu'une étude a été faite par l'IASR dont les résultats ont été publiés en avril 2016. Plusieurs médias ont parlé de cette étude, comme Actualitté, Terrafemina ou encore Cnews. On y lit que l'étude a été réalisée auprès de 715 femmes entre 18 et 24 ans et que, je cite, "les lectrices qui décrivent la série comme «chaude» et «romantique» étaient plus enclines à développer un sexisme «hostile» (soit la croyance que la femme est inférieure à l’homme). En revanche, les lectrices considérant la série comme «romantique» développent pour leur part un sexisme «bienveillant» (la croyance que l’homme doit subvenir aux besoins de la femme)." Les deux types de sexisme étant également condamnables. Le Nouvel Obs titrait également le 26 janvier 2017 : "Misogyne, raciste et ultracapitaliste : « Fifty Shades of Grey » est bel et bien très pervers", on peut lire : "Le parfait patriarche idéologue malgré lui puisqu’il explique qu’il n’y est pour rien s’il est un bourreau : c’est une femme qui est à la source de son mal car elle l’a fait souffrir la première ! Les femmes blessent les hommes ; voilà pourquoi il faut les soumettre. Les idéaux judéo-chrétiens ne sont pas prêts de s’écrouler tant que l’on passera la Saint-Valentin à l’UGC. Grey ne s’appelle pas Christian pour rien.... Être un mâle, c’est faire du mal aux femmes. Et rouler en Audi."
En résumé, les histoires interactives dont on vient de parler sont le reflet d'un sexisme ordinaire qui voudrait que la femme est l'objet fragile et sans possession (pas d'argent, pas de statut social) qui doit être protégé par l'homme (qui lui a une carrière, voire est milliardaire). Cela n'est que le miroir de ce qui existe déjà dans des romans qui sont pourtant devenus des best sellers et ont été voire sont toujours appréciés par le public féminin, auquel on ne cesse de dire que ces relations sont tout à fait saines et normales. Heureusement, avec l'après #MeToo, les réseaux sociaux jouent un rôle important dans la dénonciation de ces oeuvres populaires puisqu'un certain nombre d'anciennes lectrices et fans de ces romans participent finalement à leur déconstruction sur des blogs ou sur Twitter en particulier afin d'être lues par le plus grand nombre.
On embraye avec les Manuels scolaires j'ai volontairement trouvé une étude qui date de 2009 sur le sexisme dans les manuels scolaires pourquoi ? Parce qu'en 2010 je passais mon bac et que les manuels scolaires ont une durée de vie de 5 ans en moyenne dans le réseau des écoles. Ainsi, je peux vous prouver que je suis à minima doté de sens critique malgré le fait que j'ai été "éduquée" avec ces textes.
Ainsi, en 2000 on a pu voir la signature, par l’Éducation nationale, d’une convention interministérielle pour l’égalité entre les hommes et les femmes affirmant que : « L’objectif d’élargissement des choix professionnels, au-delà de l’accompagnement des choix d’orientation, exige une action dès le plus jeune âge sur les représentations des rôles respectifs des hommes et des femmes. Il se double d’un aspect plus ambitieux : favoriser une société plus égalitaire et respectueuse des différences » . Plusieurs axes d’intervention sont proposés, notamment : « Privilégier des approches pédagogiques susceptibles de dénoncer les mécanismes traditionnels de domination pour les remplacer par l’apprentissage de modèles relationnels respectueux et égalitaires. Cette approche réclame notamment un accompagnement du contenu des programmes et une attention portée au choix des manuels scolaires dès le primaire, ainsi que les livres de littérature jeunesse proposés dans les classes ».
L'étude menée a utilisé une méthodologie reposant sur la sociologie des rapports sociaux de sexe et sur les représentations sociales, qui consiste à recueillir, grâce à un questionnaire, des informations dans le texte et dans l’image, sur tous les personnages, éléments clés de toute histoire.
L’analyse révèle non seulement des déséquilibres numériques entre les personnages féminins et masculins (il est plus souvent question d'hommes que de femmes), mais aussi une hiérarchisation et une ségrégation sociale. Les portraits dressés inscrivent les hommes principalement dans la sphère professionnelle et les femmes dans la sphère familiale.
Finissons avec le monde du livre en lui-même. Et là pas de surprise, le sexisme est un héritage ancestral. Historiquement parlant, l'on pourrait résumé la chose par une phrase qui m'a parut excellente parue dans l'EXPRESS du 4 Juin 2017 par Lou-EVe Popper "Aux hommes la création. Aux femmes la procréation". Au cours de l'histoire littéraire, les femmes ont souvent connues un déferlement de critique lorsqu'elles montraient un temps soit peu d'intérêt pour les lettres. Molières avec les Femmes Savantes "Nos pères étaient sur ce point gens bien sensés, / Qui disaient qu'une femme en sait toujours assez / Quand la capacité de son esprit se hausse / A connaître un pourpoint d'avec un haut-de-chausse." ou bien encore Flaubert et son Dictionnaire des idées reçues "Bas-bleu: terme de mépris pour désigner toute femme qui s'intéresse aux choses intellectuelles." Sans compter les attaques de Baudelaire à l'encontre de Georges Sand et bien d'autres situations similaires. Marguerite Duras soutenait "Les hommes ne le supportent pas : une femme qui écrit".
Aujourd'hui les traces de ce sexisme persistent encore. Il aura fallu 2018 pour qu'une oeuvre d'une femme, Mme de La Fayette, figure au programme du BAC Littéraire (pas tous les BAC faut pas pousser non plus !).
Ensuite, ce sexisme est aussi présent chez les auteurs en herbe qui cherchent à se faire publier. En effet, dans un article de Terra Femina de 2015, il est fait mention d'une étude menée par une éditrice irlandaise de la maison Tramp Press qui interrogeait automatiquement l'auteur sur ses références lorsqu'il déposait son manuscrit. Et il se trouve que seulement 22% de femmes inspirent les auteurs en herbe.
Cette révélation s'ajoute aussi à l'article qu'avait fait paraître l'auteur Nicola Griffith sur son blog, dans lequel il révélait que les romans avec un points de vue féminin n'ont quasiment aucune chance d'être récompensés par un grand prix littéraire comme le Pulitzer ou le National Book Award. Mais c'est peu surprenant quand on voit que les romancières ont peu de chance d'être elle-même primées - 16% de lauréates depuis le début du XXè siècle.
Conclusion
Voilà. Toutes ces pistes de réflexions vous donnent les premières réponses à notre question principale qui était : " Pourquoi ce genre de comportements sexistes est-il encore aujourd'hui représenté dans les textes que nous pouvons lire ?"
Parce que notre société, reflétée dans ces écrits est encore terriblement sexiste et véhicule des images dégradantes de la femme et de l'homme en leur disant ce qu'ils devraient être, ce qu'ils devraient dire et penser, et ce à quoi ils devraient ressembler.
Parce que l'esprit critique se perd et cesse de se développer dans une société soumise à l'immédiateté à l'instantanéité ou tout recul et tout silence est interdit.
Parce que les éditeurs sont tombés dans une logique de quantité et non plus de qualité et qu'il faut publier pour plaire au plus grand nombre, qu'importe les messages et qu'importe les conséquences.
Parce que nous tombons, et ce n'est que mon avis personnel, dans une société dans laquelle il devient impossible de dire non à quelqu'un sous peine d'être critiquée, d'être accusée d'intolérance ou autre. Mais à mon sens permettre ce genre de messages n'est pas normal, les diffuser encore moins.
Après libre à vous de vous faire votre propre opinion, de lire ce qu'il vous plaira, mais je vous en conjure usez de votre sens critique. C'est bien la seule chose dont on a jamais trop !