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Couverture livre 3D

Un Amour à la Renverse - Minuit à Edimbourg

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* Amitié mouvementée *

Je connaissais Charly, alias Rascale, depuis l’âge de quinze ans. Nous étions tous les deux inscrits dans le club d’écriture de notre collège/lycée. Moi en troisième B et lui en première A. Deux ans d’écart, deux personnalités distinctes et deux univers d’écriture différents. Pourtant, nous nous sommes très vite entendus comme larrons en foire. Nous traînions ensemble à l’école, mais aussi endehors à discuter de choses et d’autres, et à rigoler surtout.
Puis, il a eu son BAC. Il a déménagé pour aller faire ses études aux Pays-Bas, où je lui ai rendu visite, deux fois, puis en Écosse : pays duquel il n’est plus jamais reparti. Nous nous voyions moins, mais nous ne cessions pas pour autant de nous écrire et de nous appeler. Charly savait tout de ma vie, de mes desiderata amoureux à mes déboires professionnels et je savais tout de la sienne… enfin presque.
Disons que depuis que Déborah s’était invitée dans sa vie, nous rencontrions pour la première fois, Charly et moi, des difficultés de communication et de compréhension sans précédent. Je ne comptais plus le nombre de fois où il m’avait dit de « laisser tomber » ou avait tenté, plus ou moins subtilement, de changer de sujet.
Une fois, une unique fois, j’avais fait l’erreur de lui demander pourquoi. Pourquoi est-ce que je devrais « laisser tomber » alors que ça lui tenait visiblement à cœur ? Une question qui, sur le fond, était pleine de bonnes intentions, du moins, le pensais-je. Erreur. Grave erreur qui nous a entraînées, subitement et violemment, au cœur de la seule dispute toujours à notre actif : le couple gate, comme je la nomme.
D’après lui, je devais « laisser tomber » parce que « je ne pouvais pas comprendre ce qu’ils vivaient », moi « qui n’avais jamais été en couple » – chose révolue depuis – « et qui n’avait jamais eu à faire l’effort de quoi que ce soit pour personne ». Une simple phrase qui lui a valu plusieurs mois de silence, malgré ses SMS et ses appels. Une guerre froide seulement résolue par un : « Je suis désolé pour tout ce que je t’ai dit. Tu as tout à fait le droit de me dire ce que tu penses. Tu t’inquiètes pour moi, comme je m’inquiète pour toi. Excuse-moi, Inspectrice », lâché à trois heures, un mardi soir de juin.
J’ai relu plus d’une centaine de fois ce message, désormais gravé dans ma mémoire, avant de lui répondre. Depuis, nous discutions comme avant, comme aux premiers jours… sans Déborah.
Une turbulence secoua l’appareil et me sortit brièvement de mes pensées. Je relevai un peu plus le volet du hublot et observai les nuages sombres qui encerclaient l’avion, lorsque la voix du commandant de bord retentit.
— Mesdames et messieurs, nous rencontrons quelques perturbations à notre arrivée à Édimbourg. Le temps est couvert et des risques d’averses sont à prévoir. Merci de bien attacher vos ceintures.
Une seconde secousse illustra efficacement ses dires, arrachant même un hoquet de surprise à mon voisin moustachu. Pour ma part, mon esprit ne cessait de revenir à l’avant-dernier message de Charly.
Bientôt plus en couple ?
Ce sont des choses qui arrivent.
Certes, mais j’aurais cru que Charly et Déborah feraient exception à la règle. Je ne l’apprécie pas plus que ça, mais je ne la connais pas vraiment et, après tout, il avait l’air heureux avec elle.
Elle l’a déjà plaqué une fois quand même.
Oui, et j’ai fait de même avec Caleb, y a deux ans, alors qui suis-je pour juger ?
Caleb, que j’ai ensuite quitté pour de bon, six mois après que nous nous soyons remis ensemble. Déborah a peut-être fait de même ?
Peut-être que c’est Charly qui a fait une connerie aussi ? Peut-être que c’est lui qui la quitte ?
— Vous en pensez quoi, vous ?
À ma question, posée avec le plus grand naturel malgré la situation, mon voisin ne sut que me répondre. Pas étonnant vu qu’il n’avait pas participé à ma conversation intérieure, mais qu’importe. Il me fixait avec de grands yeux, les doigts blancs crochetés aux accoudoirs.
— Vous voyez, je vous pose cette question parce que j’ai vu que vous lisiez un bouquin sur les relations de couple et j’ai un ami, que je rejoins à Édimbourg, qui vient de m’annoncer qu’il n’était peut-être plus en couple.
— Euh… euh… d’accord…, bégaya-t-il, tant sous l’effet de la surprise que sous celle des rafales qui balayaient l’avion.
— Ça doit bien faire cinq ans qu’ils sont ensemble, voyez-vous. Elle l’a déjà quitté une fois, puis ils se sont remis ensemble et là, il y a de l’eau dans le gaz à ce que je comprends. Mais je ne sais pas pourquoi.
— Et… et vous… vous… la connaissez ?
Je souris intérieurement, ravie de voir que mon interlocuteur s’intéressait à la conversation.
— Qui ? Déborah ? Sa copine ? Oh, on peut pas dire que je la connaisse, non, mais bon sur les sept ans où ils ont été ensemble, Charly avait l’air heureux, alors ça doit bien vouloir dire quelque chose, non ?
— Avait l’air ou é…était ? Parce qu’on projette toujours une image avec les… les autres. Cela ne veut pas foncièrement dire que dans l’intimité, c'est pareil. Vous voyez, avec ma femme, Carla, on a un peu le même problème, mais inversé. Elle projette l’image d’une femme heureuse auprès de la famille, alors qu’avec ses amis elle me fait passer pour un gr…
— OK, OK, Moustache, merci. Je vois le tableau, mais revenons à mes moutons, voulez-vous ? Vos problèmes de couple, j'y peux pas grand-chose.
— Ah euh…
À ses yeux légèrement étonnés, je vis bien qu’il ne savait pas trop comment réagir. Je l’avais interrompu dans sa confession intime, lui indiquant clairement que je n’y apportais pas le moindre intérêt, tout en me fendant d’un délicat sobriquet qu’il n’avait sans doute pas vu venir. Moi non plus, en toute franchise, mais il était sorti tout seul. Maintenant que c’était fait, autant faire avec.
Il se racla la gorge, reprit de sa contenance, gigota dans son siège et replaça son livre sur ses genoux avant de me ré-pondre.
— Et quelle est votre question alors ?
— Que dois-je en penser ?
Car tel était bien le fond du problème. Mon meilleur ami allait très certainement se séparer et j’étais infichue d’avoir une opinion ou ne serait-ce qu’une réaction qui n’appelait pas automatiquement son contraire. Si je me réjouissais, je tempérais, si je m’en attristais, je relativisais.
Mon voisin redressa ses lunettes le long de son arête nasale avant de prendre une grande inspiration et de me répondre.
— Et bien, en soi, cela ne vous regarde pas.
J’eus un mouvement de recul et c’est à mon froncement de sourcils qu’il s’empressa de continuer.
— Ce n’est pas votre relation, vous n’avez pas de prise d’intérêt mise à part le bien-être de votre ami, si je comprends bien, alors laissez les choses suivre leur cours. Ils vont gérer cela comme bon leur semble… à moins que…
— Oui ?
— À moins que vous ayez d’autres intérêts ?
Mes yeux s’écarquillèrent à leur tour et ma bouche se tordit d’incompréhension.
— C’est-à-dire ?
— Eh bien, je ne connais pas votre relation à ce Charly, mais ce pourrait-il que vous ne sachiez pas comment réagir, tout simplement parce que vous êtes partagée entre l’amitié qui vous contraindrait à le soutenir quel que soit son choix, y compris rester avec cette Déborah, et un autre sentiment qui se réjouirait de le savoir seul et donc… libre ?
Alors là, je restais sans voix, et cela m’arrivait peu. Mes yeux glissèrent alors de son visage rond au livre qu’il tenait entre ses mains, tandis que je me réinstallai plus confortablement dans mon siège, les mains croisées sur mon ventre.
— Vous savez quoi ? Je serais vous, j’arrêterai de lire des livres de psycho. Croyez-moi, ça complique vraiment tout.

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